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  • Photo du rédacteurBaptiste Henriot

Biard ou pas Biard, telle est la question !


“ Biard n’est pas un artiste assez important pour avoir été copié ! ”

Combien de fois ai-je entendu cette phrase dans la bouche de collectionneurs à qui je venais d’annoncer que la toile qu’ils avaient chez eux était une copie, ou simplement dans le goût de. Je peux certes comprendre que ce genre de nouvelle puisse décevoir, voire même fâcher, mais il y a des limites à affirmer que Biard était un peintre mineur et qu’il ne méritait pas l'intérêt de ses contemporains.


En presque 70 ans de carrière, Biard a énormément produit. À ce jour, plus de 350 œuvres peintes ont été cataloguées, sans compter les quelque 2 500 dessins et esquisses ramenés de divers voyages et qui, pour la plupart, sont aujourd’hui non localisés. De plus, il est aisé de multiplier le compte de ses tableaux lorsqu’on sait que Biard avait pour habitude (fâcheuse ?) de réaliser plusieurs versions d’une même toile. Pour quelle raison ? Rien n’est sûr, mais en fonction des dimensions de l’œuvre, cela devait très probablement lui permettre de vendre davantage. Si son format de prédilection est généralement celui qu’il expose aux Salons (à savoir 100 x 130 cm ou 130 x 160 cm), il lui arrive assez souvent de reprendre la même composition dans des tailles plus petites (50 x 60 cm environ). Il n’est alors pas rare de dénicher deux, voire trois fois le même tableau à des échelles différentes. Aussi, nous retrouvons régulièrement des scènes ou des personnes identiques dans plusieurs dessins et peintures. C’est notamment le cas de ses études rapportées du Grand Nord ou de Méditerranée, qu’il reprend à de nombreuses reprises pour imaginer de nouvelles intrigues.



À gauche : François-Auguste Biard, Sultane dans un intérieur, huile sur toile, 1835,

65 x 54 cm, collection du musée Sainte-Croix de Poitier

Au milieu gauche : François-Auguste Biard, Géorgienne sur la terrasse du sérail, huile sur toile, ca. 1835,

52 x 40,5 cm, collection du musée d'Art, d'Histoire et d'Archéologie d'Évreux

Au milieu droite : Zulicka, la fiancée d'Abydos, gravure d'après Biard, ca. 1837,

À droite : François-Auguste Biard, Le joueur de Saz, aquarelle sur papier, 1828,

26 x 21 cm, collection particulière



Il lui arrive également, quelques années après une première version, d'en changer certains détails, de rajouter des éléments ou d’en enlever, afin d'être en phase avec sa propre temporalité. Ces corrections peuvent être le fruit de son envie personnelle, mais peuvent aussi intervenir à la demande d’un collectionneur un peu trop tatillon. Vous pourrez trouver pour exemple la retranscription d’une lettre expliquant ce processus dans cet article qui traite de son projet de partir pour un dernier grand voyage - projet malheureusement resté à l'état de fantasme.

Pour nous aider dans ce travail d’attribution de ses œuvres, Biard a eu la bonne idée de signer près de 90% de sa production ce qui, avouons-le, facilite grandement la chose. Cette signature est assez simple à reconnaître car elle est à la fois élégante, élancée, rapide et relativement régulière. Néanmoins, il arrive parfois de tomber sur une calligraphie ou une gestuelle qui ne sont pas en adéquation avec celles habituellement visibles. Il est donc tout naturel de se demander si des copies ou des pastiches ont pu être réalisés et ce, dès le XIXème siècle.


Afin de couper court à tout suspense et à toutes spéculations, la réponse est oui, il en existe !


Sans parler de toiles faussement attribuées comme le sont de nombreuses scènes burlesques " à la Biard ” non signées et qui passent de temps à autre en ventes publiques ; il arrive occasionnellement de tomber sur une signature plus que douteuse, accompagnée d’une écriture graphique généralement faible et maladroite, le tout laissant à penser qu'il pourrait s'agir des pinceaux d’une tout autre personne. Si, pour le moment, aucun faussaire à proprement parler n’a réellement été identifié, il est de plus en plus concevable et plausible que Biard ait eu des mains supplémentaires dans son atelier.


Alors certes nous savons grâce à un de ses proches, que Biard était toujours accompagné de son vieil ami Mouniss - un singe adopté sur les côtes d’Afrique - et que ce dernier s’amusait parfois à “prendre des pinceaux, grimper sur une chaise, se hisser devant un chevalet et faire des tableaux, glorieux amas de couleurs entre-choquées et stupéfaites de se rencontrer les unes à côté des autres(1). Cela suffit-il pour le considérer comme un assistant ? Probablement pas, mais il est envisageable que Biard ait eu des élèves et que, voulant imiter la main de leur maître avec un peu trop de fidélité, ceux-ci aient poussé le vice jusqu’à falsifier sa signature. Cette idée n’est pas déconnante et vient s’appuyer sur deux éléments.

Premièrement, il arrivait que Biard se représente lui-même dans ses tableaux et, à plusieurs reprises, nous pouvons apercevoir de jeunes gens à ses côtés en train de peindre ou de dessiner. Deuxièmement, un article de presse indique clairement qu’il avait ouvert son atelier afin d’y apprendre les rudiments de la peinture à quelques apprentis.


“ Nous voulons donner sa place à une nouvelle bien faite pour intéresser les personnes qui font plus que d’aller flâner quelquefois au Louvre - celles qui s’occupent quelque peu de peinture. M. Biard, cet homme de tant de verve et de tant d’esprit, ce pinceau brillant, coquet, facile, qui se joue avec les plus piquants épisodes de la vie bourgeoise et vulgaire, et avec les plus horribles drames de l’histoire, les guerres et les massacres, les péripéties de toutes sortes, les malheureux qui expirent ensevelis dans les neiges du pôle et les naufragés abandonnés à la fureur des anthropophages de la Polynésie. M. Biard vient d’ouvrir un atelier d’élèves dans son délicieux musée de la place Vendôme. M. Biard, par le genre et la souplesse de son talent, ne peut manquer de voir accourir à ses spirituelles leçons les plus élégantes élèves, Mme Biard donnant à cette sorte de cours pratique de l’art, un attrait tout particulier par la grâce parfaite, l’aménité exquise avec lesquelles elle sait faire les bonheurs de ces charmantes réunions. ” (2)


À gauche : François-Auguste Biard, Le Peintre classique se prenant pour modèle, détail, huile sur toile, 1882,

46,5 x 61,5 cm, collection particulière

À droite : François-Auguste Biard, Mon atelier, détail, huile sur toile, 1866,

29 x 36 cm, collection de la Widener University Art Gallery de Chester



Ce qui est vraiment étrange, c’est de n'avoir aucun artiste ayant exposé aux Salons et mentionné comme étant “ élève de Biard ”. Même si je reste intimement convaincu que ces signatures “ suspectes ” proviennent de cette hypothèse, cette question reste pour le moment en suspens jusqu’à trouver de nouvelles preuves. En attendant, ces peintres continuent d’être catalogués comme simples “ suiveurs de ”.


Maintenant qu’en est-il des copies ? Certaines sont assez simples à identifier car il arrive qu’elles soient tout bonnement annotées “ d’après Biard ”. C’est le cas par exemple d’une Scène de Bivouac dans le désert passée en salle de vente à Antibes en 2021 et qui était tout bonnement une copie par un artiste inconnu d’une toile de Biard exposée au Salon de 1838.


D’autres sont quant à elles plus difficiles à déceler car non annotées et il faut alors connaître l’œuvre de Biard sur le bout de ses doigts pour les repérer !

Afin d’illustrer ce propos, observons une toile vendue aux enchères début 2022 (voir photo ci-dessous). Le copiste est un certain Jean-Baptiste Alexandre Theuvenot, né le 2 février 1834 à Port-sur-Saône et décédé le 2 décembre 1882 à Paris. Il fut l'élève de Charles Gleyre et de Léon-Jean Gérôme et, s’il était professeur de dessin graphique et d'imitation aux collèges de Rennes et de Laval, il s’est principalement fait connaître pour ses peintures de genre et d’oiseaux. Cataloguée comme étant une œuvre originale de Theuvenot, cette toile datée et située P.s.Saône 1852, est en réalité d’une copie quasi parfaite d’un tableau de Biard peinte vers 1833 et aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts de Rouen. Elle représente un sujet assez en vogue dans la première partie du XIXème : la folie.

À gauche : François-Auguste Biard, L’Hôpital des fous, huile sur toile, ca. 1833,

48 x 59 cm, collection du musée des Beaux-Arts de Rouen

À droite : Alexandre Jean-Baptiste Theuvenot, L’Hôpital des fous, huile sur toile d'après Biard, 1852,

47 x 60 cm, collection particulière



Au début de sa vie d’artiste, Biard s’inspire de Théodore Géricault et sors dans les rues afin de dessiner des mendiants, des fous et des laissés-pour-compte. Ces problématiques et cette pratique in situ lui permettent alors de s'émanciper de l'influence de l’école lyonnaise, pour peu à peu se focaliser sur un certain réalisme quasi ethnologique. Nous reconnaissons ici la cour de l’hôpital de l’Antiquaille, à Lyon, ou une pauvre femme prise de démence n’arrive même plus à reconnaitre sa propre famille.

" Le sujet de ce tableau n’est pas de ceux qu’il faille peindre, mais en admettant sa donnée, nous trouvons que le groupe principal est d’un intérêt palpitant : d’un côté, la pauvre fille dont l’oeil égaré ne reconnaît plus sa mère qui l’appelle à genoux ; de l’autre, sa jeune soeur qui pleure à la vue d’un pareil spectacle ; sur le second plan, le père dont les traits altérés sont empreints d’une douleur plus calme mais non moins profonde, et qui semble interroger une des gardiennes de l’hôpital. ”


L'Histoire retiendra très peu de choses sur Alexandre Theuvenot et il est difficile de savoir dans quelles circonstances il peint cette toile, ni même pourquoi, à peine âgé de 18 ans, ce peintre discret se passionne pour les fac-similés. Serait-ce suite à une exposition dans sa ville natale ou pour valider un examen en vue de devenir professeur ? Quoi qu’il en soit, cette peinture reste une jolie découverte confirmant l’intérêt que Biard suscitait chez les jeunes générations de son époque et elle nous invite à rester davantage attentif aux ventes de tableaux XIXe pour, peut-être, avoir la chance de tomber sur ce genre de précieux témoignages.



 

(1) Henry Berthoud - Le Singe de Biard, Musée des familles sixième volume, Paris, année 1839

(2) W.B. - Petit Courrier des Dames, Paris, 25 mars 1843

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