En 1842, Biard livre au Salon de Paris cinq tableaux dont deux illustrent des scènes nordiques : la première étant un Naufrage dans les mers polaires et la seconde des Chasseurs norwégiens au Spitzberg. Si ces toiles sont généralement bien accueillies par les visiteurs, certains critiques jugent - avec une bonne dose de mauvaise foi - que les couleurs utilisées, même si véridiques, ne peuvent qu'être douteuses car tout bonnement invérifiables.
" S’il a fidèlement rendu l’aspect de ces pays glacés, je dirai du moins que le vrai n’est pas toujours vraisemblable "
Fabien Pillet, Le Moniteur universel, 30 mars 1842, p.2
Le Svalbard reste encore de nos jours une terre difficile d’accès et il est assez compliqué de nous rendre sur place afin de démentir ces propos diffamatoires. Heureusement, internet est là pour nous aider et, en quelques clics, la véracité de ces compositions peut-être rétablie. Il nous suffit alors de transplaner virtuellement sur les côtes de la baie de la Madeleine pour y retrouver les lumières pâles et si spéciales observées par Biard, ainsi que ses montagnes noires recouvertes de neige qu’il dessine avec une précision quasi chirurgicale.
Pour une fois, Biard n’est qu'un prétexte pour pouvoir introduire et présenter - très brièvement car d’autres seront plus à même de le faire - trois artistes en lien avec le Grand Nord et plus particulièrement trois œuvres coups de cœur qui, elles aussi, semblent impossible à croire, même avec nos connaissances modernes.
Peder Balke (1804-1887), Aurore boréale au-dessus d'un paysage côtier, huile sur carton, 1870,
collection de la Galerie nationale d'Oslo
La première est une peinture réalisée à la fin du XIXème siècle par l’artiste norvégien Peder Balke. Ce contemporain de Biard est l’un des tout premier à voyager au Finnmark et à se rendre au Cap Nord afin de peindre ce site aujourd’hui emblématique qui symbolise le bout du continent européen. Malgré son petit format (10,5 x 12 cm), cette huile est incroyable de sensibilité et l’artiste nous laisse imaginer une aurore boréale majestueuse grâce à une technique très particulière qui consiste à couvrir le support d’un apprêt blanc, puis recouvrir celui-ci de noir avant d’y tracer les motifs par enlèvement de matière afin de révéler le blanc premier. Cette œuvre constitue l’une des plus belles contributions que Balke ait apportées à l’histoire de l’art.
Donald Baxter McMillan (1814-1970), Soleils arctiques durant la Crocker Land expedition, photographie, ca. 1913-1917
Viennent ensuite deux photographies. L’une a été prise par l’explorateur américain Donald Baxter MacMillan au début du XXème siècle lors de l’expédition Crocker Land, dans le Nord du Groenland. Grâce à ce cliché, nous sommes plongés en plein cœur d’un roman de science-fiction, à la surface d’une planète qui possèderait plusieurs soleils. Il s’agit en réalité de plusieurs expositions dépeignant, sur une même photographie, la course du soleil de minuit.
August Strindberg (1849-1912), Célestographie, photogramme, 1894,
collection de la Bibliothèque royale de Stockholm
Enfin, le second cliché a quant à lui été pris par le suédois August Strindberg, peu de temps après que Balke ait peint son aurore. Attiré par l’occultisme, Strindberg voit dans la photographie une " technique idéale pour s’approcher du mystère ". En 1894, il invente alors la célestographies en exposant, la nuit et à la lumière des étoiles, des plaques photosensibles posées au sol - sans utiliser d’appareil. Ce qui pourrait ressembler à une rêverie s’avère, à première vue, réussi. En effet, des sortes de galaxies prennent forme sous nos yeux, parsemées de nuages et de phénomènes astronomiques. Ces nébuleuses sont en réalité dues à l’oxydation des plaques en contact avec les chimies utilisées et d’autres particules étrangères telles que des poussières ou des saletés. Voilà de merveilleux " hasards de création artistique " comme Strindberg l’écrit lui-même dans l’un de ses essais.
Ces œuvres ont toutes en commun le fait d'être inscrites dans des séries d’expérimentations ayant pour but d’étudier le ciel dans le Grand Nord. Si leurs sujets se veulent, au départ, figuratifs, les résultats finaux flirtent avec les limites magiques de l’abstrait. Biard, lui, n’a pas poussé sa pratique jusqu’à cet extrême et est resté dans un domaine qu’il maîtrisait parfaitement : le réalisme, teinté de théâtralité. Malgré tout, le XIXème, pourtant aux portes de l’impressionnisme, aura parfois du mal à le croire, le faisant ainsi passer pour un artiste fantasque et anticonformiste.
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